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La cristallisation des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de non-opposition à déclaration préalable de lotissement

  • Thomas Poulard
  • 18 févr.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.




Par décision n°493120 du 17 février 2025, le Conseil d’État a précisé que le bénéfice de la cristallisation des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de non-opposition à déclaration préalable de lotissement est subordonné à la division effective de l’unité foncière dans le délai de validité de trois ans de la décision de non-opposition.

Précisons que la configuration contentieuse est particulière, puisque le Conseil d’Etat s’est prononcé sur un jugement rendu par le Tribunal administratif de Grenoble [1] à la suite d’une question préjudicielle du juge judiciaire, saisi d’un litige opposant les acquéreurs d’un lot à bâtir, auquel un permis de construire avait été refusé, aux vendeurs-lotisseurs.

Le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles le constructeur peut se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme lorsque le lotissement est autorisé par décision de non-opposition à déclaration préalable (I). La solution n’apparaît pas pouvoir être directement transposable au cas où le lotissement est autorisé par un permis d’aménager (II).  

I)    Lorsque le lotissement est soumis à déclaration préalable, la cristallisation des règles est subordonnée à la division effective de l’unité foncière

D’une part, et en substance, l’article L. 442-14 al. 1 du code de l’urbanisme [2] prévoit que les dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement ne peuvent être opposées au pétitionnaire qui sollicite un permis de construire ou une déclaration préalable sur l’un des lots à bâtir pour fonder un refus ou assortir l’autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales lorsque la demande est présentée dans les 5 ans suivant la décision de non-opposition [3].

D’autre part, l’article R. 424-18 du code de l’urbanisme dispose : « Lorsque la déclaration porte sur un changement de destination ou sur une division de terrain, la décision devient caduque si ces opérations n'ont pas eu lieu dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue ».

Le Conseil d’Etat en déduit que dans le cas d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de lotissement, le bénéfice de la cristallisation pendant cinq ans des règles d'urbanisme prévue par l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme est subordonné « à la division effective de l'unité foncière par le transfert, avant l'expiration du délai de trois ans suivant la non-opposition à la déclaration préalable, de la propriété ou de la jouissance d'au moins un des lots créés, ce transfert fût-il assorti d'une condition suspensive telle que celle tenant à l'obtention d'un permis de construire. La seule modification du cadastre ou la seule mise en vente de tout ou partie des terrains ne permet pas en revanche de regarder cette condition de division effective comme remplie ».

Cette approche a déjà été retenue par les juges du fond, par exemple la Cour administrative de Marseille dans un arrêt n°19MA01691 du 07 janvier 2021 [4].

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève qu’une décision tacite de non-opposition à déclaration préalable était acquise le 19 janvier 2018. La division effective de l’unité foncière devait donc intervenir dans les trois ans compter de cette date.

Constatant « l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance dans le délai de trois ans à compter du 19 janvier 2018 », le Conseil d’Etat juge que « l'arrêté du 5 février 2018 était caduc le 3 mars 2021, date de signature de la promesse de vente entre M. et Mme H... et M. et Mme F.... », et ce « sans qu'ait d'incidence la circonstance que M. et Mme H... aient pu manifester leur intention de vendre la parcelle avant le terme de ce délai de caducité ». Il en conclut que « [p]ar suite, le projet [des acquéreurs] ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme ».

L’issue du litige aurait pu être différente pour les lotisseurs-vendeurs s’ils avaient simplement demandé la prolongation de la validité de leur autorisation, dans les conditions des articles R. 424-21 et s. du code de l’urbanisme.

II)    La solution ne serait pas transposable aux lotissements soumis aux permis d’aménager

La décision du Conseil d’État porte sur l’hypothèse où le lotissement est autorisé par décision de non-opposition à déclaration préalable.

Le raisonnement n’apparaît pas transposable au cas du lotissement soumis à permis d’aménager.

D'une part, l'article L. 442-14 al. 2 du code de l'urbanisme prévoit : « Lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d'aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ».

D'autre part, l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme dispose : « Le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue ».

Ainsi, dans le cas des lotissements soumis à permis d'aménager, les règles sont cristallisées à la date d'achèvement des travaux (art. L. 442-14 al. 2 C. urb.) et le permis d'aménager est caduc si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de 3 ans (art. R. 424-17 C. urb.).

Partant, le bénéfice de la cristallisation des règles d’urbanisme ne devrait pas être subordonné à la « division effective » de l’unité foncière dans un délai donné.

Reste toutefois une hypothèse particulière qui ne cadre pas tout à fait avec cette analyse.

Conformément à l’article R. 421-19 a) du code de de l’urbanisme, sont soumis à permis d’aménager les lotissements :

« -qui prévoient la création ou l'aménagement de voies, d'espaces ou d'équipements communs à plusieurs lots destinés à être bâtis et propres au lotissement. Les équipements pris en compte sont les équipements dont la réalisation est à la charge du lotisseur ;

-ou qui sont situés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, dans les abords des monuments historiques, dans un site classé ou en instance de classement ; ».

Ainsi, la simple circonstance que l’opération soit située dans le périmètre d’un site patrimonial, dans les abords d’un monument historique, ou dans le périmètre d’un site classé ou en instance de classement suffirait à faire basculer le lotissement dans le champ d’application du permis d’aménager, même en l’absence de travaux.

Dans ce cas, quel serait le délai de validité du permis d’aménager ?

L’article R. 424-17 du code de l’urbanisme prévoit que le permis d’aménager est périmé si les travaux ne sont pas engagés dans le délai de trois ans ; mais dans l’hypothèse ici envisagée, le permis d’aménager ne prévoit pas de travaux.

Et l’article R. 424-19 du code de l’urbanisme prévoit que la décision de non-opposition à déclaration préalable est périmée si la division effective de l’unité foncière n’intervient pas dans le délai de trois ans à compter de la décision ; mais dans l’hypothèse ici envisagée, il est question d’un permis d’aménager.

Faudrait-il alors en déduire que le permis d’aménager un lotissement, lorsqu’il ne prévoit pas de travaux, n’est pas susceptible de péremption ? Le Conseil d’Etat pourrait-il, à terme, transposer de manière prétorienne le principe selon lequel la division effective de l’unité foncière doit intervenir dans le délai de validité de trois ans de l'autorisation de lotir ? Toujours est-il que le permis d’aménager sans travaux reste encore à ce jour une « énigme juridique » [5].

***

En conclusion, le bénéfice de la cristallisation des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de non-opposition à déclaration préalable de lotissement est subordonné à la division effective de l’unité foncière dans le délai de validité de trois ans de la décision de non-opposition. La division effective intervient par le transfert de la propriété ou de la jouissance d'au moins un des lots créés, fût-il assorti d'une condition suspensive telle que celle tenant à l'obtention d'un permis de construire. La seule mise en vente de tout ou partie des lots dans le délai de trois ans ne suffit pas, en revanche, à caractériser une division effective.

En pratique, les lotisseurs auront intérêt à solliciter si nécessaire la prolongation de la validité de leur autorisation, dans les conditions des articles R. 424-21 et s. du code de l’urbanisme.

Cette décision ne concerne que les lotissements soumis à déclaration préalable. Le raisonnement n’apparaît pas immédiatement transposable aux lotissements autorisés par permis d’aménager, du moins lorsqu’ils prévoient la réalisation de travaux, car dans ce cas la validité du permis d’aménager n’est pas subordonnée à la réalisation de l’opération de lotissement dans le délai de trois ans, mais à l’engagement des travaux. Reste le cas particulier du permis d’aménager un lotissement sans travaux, qui reste encore à ce jour une « énigme juridique ».


 

[1] TA Grenoble, 19 mars 2024, n°2306535, inédit

[2] « Lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date ».

[3] v. pour un exemple récent d’application CE, 31 janvier 2022, n°449496, mentionné aux tables du recueil Lebon

[4] CAA Marseille, 7 janvier 2021, n°19MA01691, inédit : « 4. Si le préfet du Var ne conteste pas que figurait au dossier de demande de permis de construire le plan de division ayant donné lieu à l'arrêté de non-opposition à déclaration de division foncière du 31 octobre 2012, la notice architecturale ne précise pas si les deux logements objets du permis de construire feront chacun l'objet d'une attribution en jouissance. Le dossier de demande de permis de construire ne mentionne comme terrain d'assiette du projet que la parcelle cadastrée AC n° 694 d'une superficie de 2 579 m², et nullement deux parcelles issues de la division autorisée en 2012. Il ressort de ces éléments que la division foncière déclarée en 2012 n'a jamais été mise en oeuvre et que le permis de construire ne peut être regardé comme portant sur les lots d'un lotissement. M. A... ne peut donc pas se prévaloir de la cristallisation des règles d'urbanisme, et il n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Var a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions du plan local d'urbanisme adoptées postérieurement au 31 octobre 2012 ».

[5] LEGRAND V., « Lotissement : le permis d'aménager sans travaux. Une énigme juridique... », 11 mars 2021, accessible à l’URL suivant :

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