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L’absence de recours administratif préalable ne fait pas obstacle à ce que le débiteur conteste devant le juge pénal la légalité du titre de perception de l’astreinte

  • Thomas Poulard
  • 24 févr.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 mars




Lorsque le juge pénal condamne l’auteur d’une infraction au code de l’urbanisme, telle que la réalisation de travaux sans l’autorisation d’urbanisme requise ou en violation du plan local d’urbanisme, il peut assortir sa condamnation d’une « mesure de restitution » tendant à la remise en état ou à la mise en conformité des lieux ou des ouvrages (art. L. 480-5 C. urb. [1]).

 

Il doit alors fixer le délai d’exécution de la mesure de restitution, et peut assortir son injonction d’une astreinte qui commence à courir à l’expiration du délai imparti pour l’exécution de la mesure (art. L. 480-7 C. urb. [2]).


Conformément à l’article L. 480-8 du code de l’urbanisme, les services de l’État assurent la liquidation et le recouvrement de l’astreinte au moins une fois par an.

 

En pratique, suivant les dispositions des articles 112 à 124 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique auquel renvoie l’article R. 480-5 du code de l’urbanisme, les services de l’État émettent un titre de perception puis, si le débiteur ne s’exécute pas spontanément, des actes de poursuite en vue du recouvrement forcé, par exemple une saisie administrative à tiers détenteur.

 

Quel est le juge compétent pour trancher les difficultés liées au recouvrement ?

 

En application de l’article 710 du code de procédure pénale [3], c’est le juge pénal qui a ordonné l’astreinte qui est compétent, en principe, pour connaître du contentieux du recouvrement de l’astreinte, car celle-ci trouve sa source dans la condamnation pénale et civile ordonnée par le juge pénal [4].


Et dans ce cadre, le juge pénal est compétent, en application de l’article 111-5 du code pénal [5], pour interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs ou règlementaires individuels « lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui [lui] est soumis » [6].


Un arrêt récent n°24-81.272 du 11 février 2025 de la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle ces principes [7].


Dans cette affaire, le demandeur au pourvoi avait été condamné par une cour d’appel pour diverses infractions au code de l’urbanisme et s’était vu imposer une mesure de remise en état des lieux sous astreinte.


Il a saisi la cour d’appel d’une requête tendant à l’annulation du titre de perception émis pour le recouvrement de l’astreinte, à la décharge de l’astreinte et au remboursement des sommes payées à ce titre. Il soutenait devant la cour d’appel que la procédure de liquidation de l’astreinte et l’exécution de la saisie sur salaire n’auraient pas été contradictoires et auraient méconnu l’article 6 CEDH.


La cour d’appel a rejeté la requête, au motif que le demandeur aurait dû adresser un recours administratif préalable obligatoire au comptable chargé du recouvrement et qu’à défaut, il ne pouvait plus remettre en cause la légalité du titre de perception et de la saisie à tiers détenteur.


Elle se fondait sur l’article 118 al. 1 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 selon lequel : « En cas de contestation d'un titre de perception, avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser cette contestation, appuyée de toutes pièces ou justifications utiles, au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer ».


La Cour de cassation censure ce raisonnement et casse l’arrêt de la cour d'appel : au bénéfice de l’article 111-5 du code pénal, il appartenait à la cour d’appel d’apprécier la légalité des actes administratifs contestés par le demandeur pour trancher le litige relatif au recouvrement de l’astreinte, sans pouvoir lui opposer l’absence de recours administratif préalable prévu à l'article 118 précité.


Ainsi, le juge pénal, saisie d’une contestation de la légalité du titre de perception émis par les services de l’Etat pour le recouvrement de l’astreinte dont il a assorti une mesure de remise en état ou de mise en conformité des lieux ou des ouvrages, ne peut opposer au débiteur l’absence de recours administratif préalable obligatoire devant le comptable chargé du recouvrement. Et ce, alors même que pour le juge administratif, ces dispositions instaurent un recours administratif préalable obligatoire en l’absence duquel le recours contre le titre de perception est irrecevable [8].

 

[1] « En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 480-4 et L. 610-1, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur.

Les mesures prévues au premier alinéa du présent article peuvent être ordonnées selon les mêmes modalités en cas de condamnation pour une infraction prévue aux mêmes articles L. 480-4 et L. 610-1 selon la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale prévue aux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale ou selon la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-16 du même code.

Le tribunal pourra ordonner la publication de tout ou partie du jugement de condamnation, aux frais du délinquant, dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département, ainsi que son affichage dans les lieux qu'il indiquera ».

[2] « Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir son injonction d'une astreinte de 500 € au plus par jour de retard. L'exécution provisoire de l'injonction peut être ordonnée par le tribunal.

Au cas où le délai n'est pas observé, l'astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l'expiration dudit délai jusqu'au jour où l'ordre a été complètement exécuté.

Si l'exécution n'est pas intervenue dans l'année de l'expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l'astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus.

Le tribunal peut autoriser le reversement ou dispenser du paiement d'une partie des astreintes pour tenir compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter ».

[3] Selon le premier alinéa de ces dispositions : « Tous incidents contentieux relatifs à l'exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence ; cette juridiction peut également procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. Pour l'examen de ces demandes, elle tient compte du comportement de la personne condamnée depuis la condamnation, de sa personnalité, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale »

[4] Cass. Crim., 24 mars 2015, n°14-84.300, publié au bulletin

[5] « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».

[6]  Cass. Crim., 21 novembre 2017, n°17-80.016, publié au bulletin sur ce point : saisie sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale d'un incident contentieux relatif à l'exécution, la cour d'appel est compétente, en vertu de l'article 111-5 du code pénal, pour apprécier, par voie d'exception, la légalité d'un acte administratif.

[8] v. CE, 25 juin 2018, n°419227, publié au recueil Lebon ; CAA Nancy, 28 novembre 2023, n°23NC02524, inédit

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