De la « modernisation du contenu du PLU » par la loi ALUR du 24 mars 2014 et son décret d’application n°2015-1783 du 28 décembre 2015 au « zéro artificialisation nette » portée par la loi dite Climat et Résilience du 22 août 2021, l’instruction des autorisations d’urbanisme reste un impensé de la planification urbaine.
La dernière réforme d’ampleur de la matière remonte à l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 et son décret d’application n°2007-18 du 5 janvier 2007.
Or, on n’assurera pas la mise en œuvre des PLUi « grenellisés », « alurisés », et bientôt « climatisés » si le droit des autorisations d’urbanisme est en retard de trois générations.
Il y a donc urgence à s’interroger sur l’instruction des autorisations d’urbanisme et en particulier sur le métier d’instructeur droit des sols, car les services instructeurs sont l’une des clefs du succès des ambitions affichées par le législateur, le pouvoir règlementaire et les auteurs des PLU(i).
Rappelons en effet que le décret du 28 décembre 2015 privilégie les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) au règlement et, au sein du règlement, les règles « qualitatives », sous la forme d’un objectif à atteindre, aux règles « quantitatives », et ce afin de favoriser l’urbanisme de projet.
Le feuilleton judiciaire déjà ancien de La Samaritaine illustre bien les difficultés générées par l’introduction de règles « qualitatives » dans le règlement - en l’espèce, il s’agissait des dispositions du PLU de Paris relatives à l’aspect extérieur des constructions[1].
Les OAP, quant à elles, sont opposables dans un simple rapport de compatibilité en application de l’article L. 152-1 du code de l’urbanisme. Il résulte en substance de la jurisprudence du Conseil d’Etat que les services instructeurs doivent s’assurer, dans le cadre de ce rapport de compatibilité, que le projet, au regard de ses caractéristiques concrètes, ne contrarie pas les objectifs poursuivis par l’OAP, eu égard à son degré de précision[2].
Le travail d’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme s’en trouve nécessairement complexifié !
Ajoutons que favoriser « l’urbanisme de projet », c’est également favoriser le rapport de force entre les Maires et les porteurs de projet, soit par l’indétermination de la norme quand elle est fixée sous forme qualitative (un objectif à atteindre dans le PLUi), soit lorsqu’elle s’impose dans un rapport de compatibilité. Cette « indétermination » de la règle d’urbanisme peut être un atout pour l’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme, amenée à négocier avec les porteurs de projet. Ainsi, associer au règlement une OAP destinée à privilégier la prise en compte du contexte urbain dans lequel le projet s’insère est une façon habile de « juguler » le désir des porteurs de projet d’exploiter au maximum le « gabarit constructible » ouvert par le règlement.
Encore faut-il être en mesure de « peser » dans le rapport de force face aux porteurs de projet.
Il y a donc urgence à valoriser les services instructeurs et les carrières d’instructeur, si l’on veut que les réformes de la planification urbaine portent leurs fruits.
Alors, quelles solutions ?
D’abord, une réflexion sur la mutualisation des services à l’échelle intercommunale pourrait être engagée. Cette mutualisation reste très insuffisante, sans doute en partie par la crainte des maires d’être in fine dépossédés de leur compétence en matière d’autorisations d’urbanisme si les services instructeurs sont mutualisés et donc organisés à l’échelle intercommunale.
Ensuite, le recrutement et la formation des agents. La Cour des comptes l’a relevé dans son rapport thématique publié en septembre 2024 : « ces services sont confrontés à un enjeu d’attractivité et de formation. La technicité, l’évolution permanente et l’exigence de la matière traitée découragent un certain nombre d’agents, engendrant un turnover important dans ces services ». La Cour des comptes relève en outre que ces services sont majoritairement composés d’agents des filières administratives ou techniques, quand ceux disposant de compétences en matière d’ingénierie privilégient les services en charge de la planification urbaine[3]. Les intercommunalités compétentes en matière de PLUi ont un rôle à jouer en la matière, en favorisant l’appropriation par les services instructeurs des communes membres des nouveaux PLU(i) alurisés et, bientôt, « climatisés » !
Les services instructeurs sont l’une des clefs du succès des ambitions affichées par le législateur pour la mise en œuvre des PLU(i) « grenellisés », « alurisés » et, bientôt, « climatisés ». Face à la sophistication croissante des PLU(i), il y a urgence à mettre à revaloriser la fonction d’instructeur droit des sols. D’un point de vue institutionnel, la mutualisation des services instructeurs à l’échelle intercommunale est un élément de réponse. Au-delà, une réflexion sur l’attractivité des carrières d’instructeurs, le recrutement et la formation des agents doit être menée.
[1] CE, 19 juin 2015, req. n°387061, mentionné aux tables du recueil Lebon sur ce point : « 7. Considérant qu'eu égard à la teneur des dispositions de l'article UG 11 du règlement en cause, en particulier celles du point UG 11.1.3, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si l'autorité administrative a pu légalement autoriser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux avoisinants, sans méconnaître les exigences résultant de cet article ; que, dans l'exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l'ensemble des dispositions de cet article et de la marge d'appréciation qu'elles laissent à l'autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme ; qu'à cet égard, il résulte en particulier des dispositions précédemment citées de l'article UG 11 qu'elles permettent à l'autorité administrative de délivrer une autorisation de construire pour édifier une construction nouvelle présentant une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants, dès lors qu'elle peut s'insérer dans le tissu urbain existant ; »
[2] CE, 30 décembre 2021, req. n°446763, mentionné aux tables du recueil Lebon sur ce point : « 3. Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation d'urbanisme ne peut être légalement délivrée si les travaux qu'elle prévoit sont incompatibles avec les orientations d'aménagement et de programmation d'un plan local d'urbanisme et, en particulier, en contrarient les objectifs. Il y a lieu de tenir compte, lorsque l'orientation d'aménagement et de programmation porte sur une zone d'aménagement concerté, de la localisation, prévue dans les documents graphiques, des principaux ouvrages publics, des installations d'intérêt général et des espaces verts. Dans l'hypothèse où l'orientation d'aménagement et de programmation prévoit, comme élément de programmation d'une zone d'aménagement concerté, la localisation d'un équipement public précis, la compatibilité de l'autorisation d'urbanisme portant sur cet équipement doit s'apprécier au regard des caractéristiques concrètes du projet et du degré de précision de l'orientation d'aménagement et de programmation, sans que les dispositions du code de l'urbanisme relatives aux destinations des constructions, qui sont sans objet dans l'appréciation à porter sur ce point, aient à être prises en compte ».
[3] Cour des comptes, La délivrance des permis de construire – Un parcours complexe dans un cadre instable, septembre 2024, p. 79