Attention à la motivation des refus de permis de louer !
- Thomas Poulard
- 21 févr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 févr.

La loi « ALUR » du 24 mars 2014 a ouvert la possibilité, pour l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d’habitat (ou, à défaut d'EPCI compétent, la commune), de soumettre à autorisation préalable la mise en location des logements sur « les territoires présentant une proportion importante d’habitat dégradé » (art. L. 635-1 I du code la construction et de l’habitation) : c’est le dispositif du « permis de louer ».
Le permis de louer permet à l’administration de contrôler que le logement proposé à la location répond aux critères de décence et ne présente pas de danger pour la sécurité des occupants et la salubrité publique. Ainsi, en application de l’article L. 635-3 du code la construction et de l’habitation [1], lorsque le logement ne répond pas aux critères de décence ou est susceptible de porter atteinte à la sécurité des occupants et à la salubrité publique, le président de l'EPCI (ou le maire, si la commune est compétente) a deux possibilités : soit refuser l’autorisation ; soit accorder l’autorisation sous conditions.
Dans les deux cas, la décision est motivée et doit préciser les travaux ou aménagements nécessaires pour mettre le logement en conformité.
Dans un arrêt récent n°24PA00134 du 10 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris s’est précisément prononcée sur l’obligation de motivation de la décision, en jugeant que :
« lorsque l'autorité saisie d'une demande d'autorisation de mise en location et se fondant sur des considérations tenant à la sécurité des occupants potentiels d'un logement et à la salubrité publique, choisit de refuser de faire droit à cette demande plutôt que de l'accorder sous conditions il lui appartient d'énoncer les considérations de droit et de fait qui fondent ce choix et de faire apparaître, notamment, des éléments suffisants permettant de comprendre, à la seule lecture de la décision, d'une part son choix de ne pas soumettre à simples conditions l'autorisation sollicitée, et, d'autre part quels sont les travaux ou aménagements qui permettraient au pétitionnaire de voir sa demande accueillie. Ces dernières précisions apparaissent, eu égard au lien étroit qu'elles entretiennent avec le sens de la décision prise, comme une des composantes nécessaires de la motivation de la décision prise » [2].
La Cour se prononçait sur les dispositions antérieures à la loi "Climat et Résilience" du 22 août 2021, qui ne visaient que les exigences de sécurité des occupants et de salubrité publique. Mais le raisonnement apparaît transposable aux dispositions en vigueur qui sanctionnent également le caractère décent du logement.
Cette analyse conduit à renforcer l’obligation de motivation qui pèse sur l’autorité compétente.
D’une part, en cas de refus, l’auteur de la décision devrait non seulement exposer les motifs de droit et de fait pour lesquels l’autorisation préalable de mise en location est refusée, mais aussi ceux pour lesquels il a opté pour un refus plutôt que pour une autorisation sous conditions.
D’autre part, l’indication de « la nature des travaux ou aménagements prescrits pour satisfaire aux exigences » de décence, de sécurité des occupants et de salubrité publique fait partie intégrante de la motivation de la décision exigée par l’article L. 635-3 al. 2.
L’absence ou l’insuffisance de motivation n’est pas susceptible d’être régularisée par substitution de motifs [3], ce que confirme la Cour au cas d’espèce [4].
Pour autant, l’annulation d’une décision pour insuffisance de motivation ne conduit pas à la délivrance de l’autorisation elle implique seulement le réexamen de la demande [5]. C’est ce que juge ici aussi la Cour, qui enjoint au réexamen de la demande [6].
Cette obligation de motivation « renforcée » n’est pas neutre pour l’autorité compétente, car elle oblige l’auteur à expliciter les raisons pour lesquelles il choisit d’opposer un refus à la demande d’autorisation de mise en location, plutôt que de délivrer l’autorisation sous conditions de travaux ou d’aménagements, alors que la loi ne fixe pas de critères particuliers pour choisir une solution plutôt que l’autre.
Cela pourrait pousser les pétitionnaires faisant l’objet d’un refus à le contester en faisant valoir qu’une autorisation sous conditions eût été suffisante.
Les services instructeurs et les élus concernés devraient donc réfléchir à des critères permettant de sécuriser les décisions prises sur les demandes d’autorisation préalable et assurer une cohérence d’ensemble dans le traitement des demandes. A cet égard, « la nature des travaux ou aménagements » nécessaires pour assurer la mise en conformité du logement semble un critère fondamental. On peut imaginer que si seulement quelques travaux ou aménagements sont requis, la décision s’orientera plutôt vers une autorisation sous conditions ; à moins que les « non-conformités » ne soient d’une importance « critique ». On peut aussi imaginer que si la « non-conformité » du logement n’apparaissait pas « remédiable » (ex : une taille du logement insuffisante) ou si elle nécessitait des travaux ou des aménagements dont la réalisation ne semble pas envisageable dans un délai raisonnable, l’auteur de la décision pourrait s’orienter vers un refus (ex : des travaux qui nécessiteraient une autorisation de la copropriété).
[1] Selon l’article L. 635-3 al. 2 CCH, le président de l’intercommunalité (ou le maire, si la commune est compétente) « peut refuser ou soumettre à conditions l'autorisation préalable de mise en location lorsque le logement ne respecte pas les caractéristiques de décence prévues à l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ou est susceptible de porter atteinte à la sécurité des occupants et à la salubrité publique. La décision de rejet de la demande d'autorisation préalable de mise en location est motivée et précise la nature des travaux ou aménagements prescrits pour satisfaire aux exigences précitées ».
[2] CAA Paris, 10 décembre 2024, req. n°24PA00134
[3] CE, 25 avril 2007, req. n°290197, mentionné aux tables du recueil Lebon sur ce point
[4] CAA Paris, 10 décembre 2024 préc. : « 7. Si la commune de Montfermeil sollicite que les décisions attaquées, qui étaient initialement fondées sur l'article L. 1332-22 du code de la santé publique, soient regardées comme étant fondées sur des motifs complémentaires tenant aux prescriptions du " décret décence ", du règlement sanitaire départemental et enfin, des dispositions règlementaires nouvelles issues du code de la santé publique et demande ainsi que ces motifs soient substitués au motif figurant dans les décisions, une telle substitution ne pourrait, en tout état de cause, pas remédier à l'insuffisance de motivation des arrêtés contestés ».
[5] V. par exemple CE, 12 juillet 2023, req. n°464645, inédit
[6] CAA Paris, 10 décembre 2024 préc. : « 9. Le présent arrêt implique seulement, compte tenu du moyen d'annulation retenu, qu'il soit procédé au réexamen des demandes de Mme A..., en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au maire de la commune de Montfermeil de réexaminer les demandes d'autorisation préalable de mise en location des cinq logements présentées par Mme A..., et de statuer sur ces demandes dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ».